Pourquoi Refusons Nous de Voir la Partie Diabolique de Nous-mêmes ?
Dans notre quête de sens, de paix intérieure, ou d'évolution spirituelle, nous sommes souvent confrontés à une résistance subtile, mais tenace : la peur de voir certaines parties de nous-mêmes que nous jugeons sombres, destructrices, voire « diaboliques ». Cette part sombre de notre être n’est pas une simple ombre cachée dans un coin, elle est une composante essentielle de notre psyché humaine. Pourtant, nous passons une grande partie de notre vie à la fuir, à l’éviter, ou à la projeter sur l’extérieur. Pourquoi est-il si difficile d’affronter cette part sombre ? Pourquoi préférons-nous souvent l’ignorer plutôt que de l'intégrer ? Cet article propose d'explorer les raisons profondes pour lesquelles nous refusons de voir cette partie de nous que nous considérons comme « diabolique » et l'importance cruciale de l'intégrer dans notre chemin spirituel.
1. La Dictature du « Bien » et l'Illusion de la Perfection
Depuis notre plus jeune âge, nous sommes élevés dans un système de valeurs qui met l’accent sur la distinction claire entre le bien et le mal. Que ce soit par l’éducation familiale, religieuse ou sociale, on nous enseigne à cultiver les qualités jugées positives : la gentillesse, la compassion, la générosité, la patience. Ces vertus, bien que nécessaires à une vie en société harmonieuse, deviennent souvent une prison mentale si elles sont considérées comme les seules facettes valides de notre personnalité.
Dans cette quête de « perfection », tout ce qui ne correspond pas à l’image idéalisée de nous-mêmes est refoulé. Nous développons une peur de tout ce qui est perçu comme malveillant ou indésirable : la colère, l’égoïsme, la jalousie, ou encore la violence. Reconnaître l’existence de ces aspects sombres en nous menace cette construction de soi fondée sur la moralité. Admettre que nous portons en nous des énergies destructrices ou des pulsions incontrôlables remettrait en question l'idée que nous sommes fondamentalement bons ou « civilisés ». C'est pourquoi nous préférons maintenir l'illusion de perfection en occultant cette part « diabolique ».
2. La Peur de Perdre le Contrôle
Une des principales raisons pour lesquelles nous ne voulons pas voir cette part sombre réside dans la peur de perdre le contrôle. Les émotions et les pulsions que nous qualifions de « diaboliques » sont souvent associées à un sentiment de chaos intérieur. Elles nous confrontent à nos instincts les plus bruts et les plus primitifs, des forces que nous avons appris à refouler pour ne pas perturber notre équilibre intérieur et nos relations sociales.
La colère, la haine, la jalousie, ou même le désir de vengeance sont perçus comme des énergies dangereuses. Si nous les acceptons ou les reconnaissons en nous, nous avons peur de ne plus pouvoir les maîtriser, de devenir submergés par elles. Cette peur de l'incontrôlable conduit à un mécanisme de déni. En fermant les yeux sur notre part sombre, nous croyons la neutraliser, mais en réalité, nous la renforçons. Ce que nous refusons de voir dans l’ombre finit souvent par surgir de manière incontrôlée, sous forme de comportements autodestructeurs ou de relations toxiques.
3. La Projection de l’Ombre : Le Mal à l'Extérieur
Une autre manière courante d'éviter de voir cette part « diabolique » en nous consiste à la projeter sur les autres ou sur le monde extérieur. Ce mécanisme de défense psychologique nous permet de rejeter notre propre responsabilité en attribuant le mal ou la noirceur à l'extérieur de nous. Nous voyons ainsi le mal chez les autres, dans les institutions, ou dans les circonstances de la vie.
Cela permet de maintenir intacte l'illusion de notre propre pureté intérieure. C'est un phénomène bien documenté par Carl Jung, le célèbre psychanalyste, dans sa théorie de l’ombre. Selon lui, plus nous refoulons nos parties sombres, plus nous les projetons sur autrui. Ce mécanisme engendre des conflits, des jugements, des critiques, et une polarisation entre « nous » et « eux ». Nous créons ainsi des ennemis imaginaires et alimentons des luttes intérieures et extérieures qui ne font qu'amplifier notre division.
4. La Dissociation Entre l’Esprit et le Corps
Dans de nombreuses traditions spirituelles et religieuses, il existe une dissociation entre l’esprit (perçu comme pur, divin) et le corps (perçu comme impur, matériel, sujet aux tentations). Cette scission a des conséquences profondes sur notre perception de nous-mêmes. L'ascension spirituelle est souvent associée à l'idée de transcender les désirs du corps, les émotions brutes, et les instincts primaires. On associe à tort ces forces terrestres à la part « diabolique » de nous-mêmes, ce qui nous amène à les mépriser ou à les ignorer.
Cependant, cette vision dualiste de l’être humain est trompeuse. Elle conduit à une fragmentation de la personne et à une méconnaissance de la richesse des énergies qu’elle porte en elle. En rejetant nos pulsions corporelles et nos instincts naturels, nous nous coupons d’une part essentielle de notre être. La véritable spiritualité ne consiste pas à fuir ou à transcender notre humanité, mais à la comprendre, à l’accepter et à l’intégrer. Nos désirs, nos passions, même ceux que nous jugeons sombres, sont des aspects de la force vitale qui circule en nous. Les ignorer, c’est nous priver de leur pouvoir de transformation.
5. La Difficulté à Assumer la Responsabilité de Notre Ombre
Reconnaître cette part sombre en nous, c’est accepter de prendre la responsabilité de notre propre ombre. Cela demande une profonde honnêteté envers soi-même et un travail d'introspection qui peut être douloureux. Admettre que nous avons des pulsions destructrices, que nous nourrissons parfois des pensées de jalousie, de haine ou de vengeance, exige de sortir du rôle de victime et d'accepter que nous participons activement à la création de nos souffrances.
L’ego, cette construction psychologique qui cherche à nous maintenir dans une image positive de nous-mêmes, résiste farouchement à ce processus. Il préfère blâmer l'extérieur, les autres, ou les circonstances pour ce que nous ressentons. Mais le véritable chemin de croissance spirituelle passe par cette acceptation de notre responsabilité. En intégrant notre ombre, nous reprenons le pouvoir sur notre vie intérieure et libérons notre potentiel créateur.
6. La Voie de l’Intégration : L’Alchimie Intérieure
Il est fondamental de comprendre que cette part que nous qualifions de « diabolique » n’est pas intrinsèquement mauvaise. Elle contient une immense force, une énergie brute qui, si elle est canalisée et comprise, peut être transformée en puissance créatrice. C’est le principe même de l’alchimie intérieure : transformer le plomb de notre nature inférieure en or spirituel.
L’intégration de notre part d’ombre ne consiste pas à lui céder ou à la laisser nous dominer, mais à la comprendre, à l’apprivoiser, et à l’harmoniser avec notre lumière intérieure. Par exemple, la colère peut être un puissant moteur de transformation si elle est dirigée vers des actions positives et créatrices. La peur, une fois reconnue, peut devenir une source de sagesse et de prudence. L’égoïsme, lorsqu’il est équilibré, peut se transformer en amour de soi sain, permettant une meilleure relation avec autrui.
7. Le Chemin Vers l’Unité : Une Vision Holistique de l’Être
Le chemin spirituel ne consiste pas à supprimer notre part sombre ou à la diaboliser, mais à l’unifier avec notre lumière. La véritable sagesse spirituelle consiste à embrasser toutes les facettes de notre être, en comprenant que la lumière et l'ombre sont interdépendantes. La lumière ne peut exister sans l’ombre, et c’est dans l’acceptation de cette dualité que réside la voie vers l’unité intérieure.
Lorsque nous arrêtons de fuir notre part sombre, nous cessons d’alimenter la division en nous-mêmes et dans le monde extérieur. Nous devenons alors des êtres complets, conscients à la fois de nos forces et de nos faiblesses, capables de naviguer avec maîtrise entre ces deux pôles de notre existence. Cette intégration nous permet de transcender la dualité bien/mal et d’accéder à une vision plus large et plus unifiée de notre humanité.
Conclusion : L’Acceptation de Notre Part Diabolique, Clé de l’Éveil
Refuser de voir notre part diabolique, c'est se priver d'une profonde compréhension de nous-mêmes et des dynamiques internes qui gouvernent notre existence. Cette part n’est pas un obstacle à notre croissance spirituelle, mais au contraire un levier puissant pour notre transformation. En acceptant de regarder en face ce que nous avons rejeté, nous ouvrons la voie à une véritable guérison et à une plénitude intérieure.
L’ombre est une partie intégrante de la lumière. Il n’y a pas à choisir entre l’une ou l’autre, mais à apprendre à les intégrer dans un équilibre harmonieux. Lorsque nous acceptons notre part sombre, nous découvrons qu'elle est la clé pour libérer notre véritable potentiel et pour vivre en paix avec nous-mêmes.
Magali Merlo